Artigo do mês de março no Le Monde Diplomatique:
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http://www.monde-diplomatique.fr/2006/03/KLARE/13298mars 2006 - Page 8
Polémiques sur les réserves prouvées du royaume
Limites de la puissance pétrolière saoudienneNouvel attentat contre une usine de raffinage de pétrole en Arabie saoudite, le 24 février. Revendiqué par la branche saoudienne d’Al-Qaida, il n’a pas affecté la production. Mais cet incident tout autant que les incertitudes sur le dossier nucléaire de l’Iran pèsent sur les prix du baril. Tout choc dans l’approvisionnement est redouté, car les réserves saoudiennes se révèlent moins abondantes qu’annoncé par les autorités de Riyad.
Par Michael T. Klare
Professeur à Hampshire College (Amherst, Massachusetts) et auteur de
Blood and Oil : The Dangers and Consequences of America’s Growing Petroleum Dependency (à paraître en août).
Tandis qu’aux Etats-Unis et ailleurs l’inquiétude s’accroît de jour en jour, les experts sont divisés en deux camps : les optimistes croient que l’abondance sera la règle pour de longues années encore ; les pessimistes estiment que le pétrole va bientôt devenir une denrée rare. Les uns et les autres s’accordent cependant pour penser que l’Arabie saoudite – premier producteur du monde – jouera un rôle essentiel. Pour les optimistes, le royaume saoudien continuera d’augmenter sa production au rythme de la demande ; pour les pessimistes, ce pays va bientôt voir ses réserves pétrolières décliner, en conséquence de quoi tout espoir d’augmenter l’approvisionnement net de la planète est parfaitement vain. Avant de spéculer sur le futur, il faut donc examiner soigneusement le cas de l’Arabie saoudite.
L’importance de ce pays pour l’économie pétrolière n’est plus à démontrer. Non seulement il est le premier producteur et exportateur de brut, mais il est également le seul fournisseur à disposer d’une importante capacité en réserve, qui lui permet d’accroître rapidement sa production en cas de crise. Cette particularité a été d’une importance décisive en 1990, lorsque l’Irak a envahi le Koweït et que la production des deux pays a disparu du marché ; en relevant rapidement la sienne, l’Arabie saoudite a prévenu, à elle toute seule, un nouveau « choc pétrolier » comparable à ceux qui ont suivi l’embargo arabe de 1973-1974 et la révolution iranienne de 1979-1980.
Etant donné cette capacité unique à augmenter sa production si besoin, l’Arabie saoudite a longtemps été perçue à Washington comme un élément clé de la sécurité énergétique des Etats-Unis. Ainsi, lorsque le prix du brut a commencé à flamber au printemps 2005, le premier geste du président George W. Bush a été de recevoir le prince héritier Abdallah (devenu roi depuis) dans son ranch du Texas pour le supplier d’augmenter la production de son pays. « Le prince héritier comprend l’importance de maintenir un prix raisonnable », a alors déclaré M. Bush à la presse avant la rencontre (1). A l’issue de la réunion, le prince a promis d’augmenter la production saoudienne, a précisé un porte-parole, qui a ajouté : « Voilà qui jouera certainement en faveur de la baisse [du prix du pétrole] (2). » Bien que les engagements du roi Abdallah n’aient à ce jour entraîné aucune baisse sensible, Washington continue de faire pression sur Riyad pour que les Saoudiens développent encore leur production.
Si important que soit ce rôle de producteur d’appoint (swing producer) en cas de crise, la question de l’apport futur du pétrole saoudien est plus décisive encore. « Avec un quart des réserves mondiales prouvées, notait en 2004 le ministère américain de l’énergie, l’Arabie saoudite sera probablement le principal exportateur du monde dans un avenir prévisible (3). » Toutes les estimations publiées par ce ministère prévoient que la production saoudienne sera en augmentation constante au cours des prochaines années et que le royaume tiendra un rôle essentiel dans la satisfaction de la soif planétaire d’or noir. A lui seul, il devrait contribuer pour plus d’un quart à l’accroissement de l’approvisionnement mondial entre 2001 et 2025.
Colère et inquiétude à RiyadPour apprécier à sa juste valeur le rôle ainsi dévolu au royaume saoudien, on peut se référer aux projections annuelles publiées par le ministère américain de l’énergie sur l’évolution de l’offre et de la demande. En 2004, ce dernier a prévu que la demande mondiale augmenterait de 57 % entre 2001 et 2025, passant de 77 millions à 121 millions de barils par jour (bpj). Pour y répondre, la production saoudienne était censée croître de 120 % pendant cette période, passant de 10,2 millions à 22,5 millions de bpj. Il s’agit là d’un taux sans commune mesure avec ce qui était attendu des autres pays ou groupes de pays producteurs. Ce sont la Russie et les anciennes républiques soviétiques de la mer Caspienne qui s’en rapprocheraient le plus, avec une augmentation attendue de 8,5 millions de bpj entre 2001 et 2025, soit un total de 17,3 millions de bpj ; pour l’Iran, l’Irak et le Koweït, elle serait de 7,6 millions de bpj, soit un total de 16,5 millions de bpj ; alors que le principal producteur africain, le Nigeria, n’est supposé gagner que 1,6 million, passant à 3,8 millions. Dans la plupart des autres régions du monde, le ministère américain prévoyait la stagnation ou le déclin de la production, de sorte que l’apport saoudien supplémentaire prévu de 12,3 millions de bpj est absolument essentiel pour satisfaire la demande mondiale (4).
Mais l’Arabie saoudite est-elle vraiment en mesure d’y parvenir en vingt-cinq ans, est-elle seulement capable de l’augmenter si peu que ce soit ? Voilà la question qui obsède les analystes de tous les pays.
La controverse a éclaté au grand jour en février 2004, quand le New York Times a signalé que nombre d’analystes sont arrivés à la conclusion que les principaux champs pétrolifères saoudiens sont plus près de l’épuisement qu’il ne l’est généralement supposé. Ils mettent en doute la capacité du royaume à augmenter sa production au-delà du niveau actuel de 9 à 10 millions de bpj. Si la production du royaume est parvenue jusqu’ici à suivre la demande internationale, affirme le journal new-yorkais, « les champs pétrolifères du pays sont aujourd’hui entrés en déclin, de sorte que les responsables de l’industrie et du gouvernement s’interrogent : le royaume sera-t-il en mesure de satisfaire la soif mondiale du pétrole au cours des années à venir (5) ? ».
Inutile de dire que cet article a suscité colère et inquiétude à Riyad. Les jours suivants, M. Mahmoud Abdoul-Baqi, vice-président d’Aramco chargé de la prospection de la Saudi Aramco, a assuré : « Nous avons la capacité de mettre sur le marché plus de pétrole que n’importe qui. (...) Nous continuerons de fournir du pétrole pendant au moins soixante-dix années (6). » Le ministre du pétrole, M. Ali Al-Nouaïmi, s’est montré encore plus affirmatif (7).
Ces promesses ont été reprises par les responsables américains. Ainsi, dans l’
International Energy Outlook de 2004, le ministère américain de l’énergie affirme que les responsables saoudiens « ont confiance en leur capacité à maintenir des niveaux de production sensiblement plus élevés jusqu’au milieu du siècle et au-delà (8) ».
Mais cela n’a pas mis un terme à la controverse. Au mois de mai 2005, un banquier de Houston, M. Matthew R. Simmons, publie un livre qui aura l’effet d’une bombe,
Twilight in the Desert : The Coming Saudi Oil Shock and the World Economy («
Crépuscule dans le désert. La future crise pétrolière saoudienne et l’économie mondiale »). M. Simmons affirme avec force que la plupart des principaux champs pétrolifères saoudiens sont d’ores et déjà entrés en déclin, et qu’il sera donc impossible d’augmenter leur production dans les années à venir. « Il est peu probable que l’Arabie saoudite soit jamais en mesure de livrer les quantités de pétrole qu’on attend d’elle, affirme-t-il. La production saoudienne s’approche de son pic de production durable... et elle est susceptible d’entrer en déclin dans un avenir proche (9). »
M. Matthew (« Matt ») Simmons n’est pourtant ni un environnementaliste militant ni un adversaire des compagnies pétrolières. Président et directeur général de l’une des banques d’investissement pétrolier les plus importantes du monde, la Simmons & Company International, il investit, depuis des décennies, des milliards dans le secteur énergétique et finance la prospection et le développement de nouvelles réserves de pétrole dans le monde entier. Il est ainsi devenu l’ami de nombreuses personnalités de premier plan dans les milieux pétroliers, y compris celui de M. Bush et de son vice-président Richard Cheney. Il a également accumulé une vaste quantité de données concernant les principaux champs pétrolifères de la planète, et il est certainement l’une des personnes au monde les mieux informées dans ce domaine. C’est pourquoi son évaluation pessimiste doit être prise au sérieux.
Pour l’essentiel, l’argumentaire de M. Simmons tient en quatre points :
– la majeure partie du pétrole saoudien est extraite d’un petit nombre de champs gigantesques ;
– ceux-ci ont été mis en exploitation il y a quarante ou cinquante ans et, pour la plupart, ne contiennent plus de pétrole facile à extraire ;
– afin de maintenir des niveaux de production élevés dans ces quatre ou cinq gisements, les Saoudiens recourent de plus en plus souvent à l’injection hydraulique et à d’autres méthodes de récupération secondaire afin de compenser la chute de pression dans les puits ;
– avec le temps, la proportion eau/pétrole dans les gisements souterrains sera telle que l’extraction deviendra difficile, voire impossible.
Twilight in the Desert n’est pas un livre facile à lire. Il s’agit essentiellement d’une description détaillée de l’immense infrastructure pétrolifère du royaume, à partir de documents de service, rédigés par des techniciens saoudiens et traitant des divers aspects de la production sur tel ou tel champ. Il y est beaucoup question du vieillissement des gisements et de l’emploi de plus en plus fréquent de l’injection d’eau afin de maintenir la pression souterraine – technique qui peut conduire à une détérioration des réserves non entamées. C’est en se fondant sur ces études techniques que M. Simmons est en mesure de montrer que les champs saoudiens les plus importants voient rapidement approcher la fin de leur vie productive.
Voilà encore de quoi fâcher et inquiéter tout à la fois les responsables saoudiens. Lors d’un colloque à Washington, le ministre du pétrole Al-Nouaïmi conteste les allégations de M. Simmons et continue d’affirmer que son pays est tout à fait capable de répondre à une demande mondiale en hausse. « Je tiens à vous rassurer solennellement : les réserves saoudiennes sont riches, et nous sommes prêts à augmenter notre production selon les exigences du marché », a-t-il déclaré le 17 mai 2005. Lors d’une réunion à Paris, M. Al-Nouaïmi fait part du projet d’augmenter le niveau de production de 10 millions de bpj à 12 millions de bpj, et encore davantage – jusqu’à 15 millions au besoin – si la demande mondiale continue à s’amplifier (10).
Cette fois, cependant, on constate un plus grand scepticisme chez les experts. Beaucoup d’analystes ont noté que le pétrole supplémentaire actuellement extrait en Arabie saoudite a une haute teneur en soufre. Par exemple, prenant la parole au cours d’une rencontre Bush-Abdallah au Texas, M. Jason Schenker, de la Wachovia Corporation, a observé : « Aucun changement substantiel ne sortira de cette réunion (11). »
L’indice le plus frappant de cette évolution des perceptions apparaît dans l’International Energy Outlook de juillet 2005. Il faut se rappeler que, l’année précédente, cette publication avait prédit une progression de la production saoudienne de 12,3 millions de bpj au cours du premier quart de ce siècle, pour atteindre un total de 22,5 millions de bpj en 2025. En 2005, au contraire, on ne prévoit plus qu’une augmentation de 6,1 millions de bpj, pour une production totale qui n’atteindra que 16,3 millions de bpj en 2025 – un manque à gagner considérable par rapport aux chiffres d’il y a un an (12). Aucune explication à ce revirement n’a été fournie, mais on suppose que les analyses de M. Simmons et d’autres sceptiques ont commencé à infléchir la pensée officielle à Washington.
Il est d’ailleurs probable que les prévisions du ministère pour 2025 vont s’avérer ridiculement optimistes. Même M. Al-Nouaïmi, lors de ses épanchements les plus volubiles, ne s’est jamais engagé explicitement à dépasser les 12 millions de bpj. Et si M. Simmons a raison, même ce niveau-là pourrait se révéler hors de portée.
A aucun moment, bien entendu, cette discussion n’a porté sur l’autre facteur important, à savoir l’impact éventuel du contexte politique sur la production saoudienne. Un bouleversement comme celui qui s’est produit lors du renversement du chah d’Iran en 1978-1979 entraînerait presque certainement une chute de la production, pouvant durer plusieurs années. Un attentat terroriste d’envergure contre les installations pétrolières aurait sans doute un effet semblable.
Même si les conditions intérieures demeurent relativement stables, nous devons nous préparer à l’imminence d’un avenir où les réserves mondiales de pétrole ne parviendront plus à satisfaire les insatiables demandes énergétiques de la planète.
(1) Cité dans « Bush-Saudi talks focus on long-range oil plan », Reuters, 25 avril 2005.
(2) Cité dans « Bush urges Saudis to boost oil production »,
Los Angeles Times, 25 avril 2005.
(3) US Department of Energy, Energy Information Administration (DoE/EIA), « Saudi Arabia, country analysis brief », juin 2004.
(4) DoE/EIA,
International Energy Outlook 2004, Washington, 2004, tables A4 et D1.
(5) Jeff Gerth, « Forecast of rising oil demand challenges tired Saudi fields »,
New York Times, 24 février 2004.
(6) Cité dans « Saudis refute claims of oil field production declines »,
Oil and Gas Journal, Houston (Texas), 8 mars 2004.
(7) Cf. « Saudi oil minister Al-Naimi sees kingdom sustaining oil supply linchpin role for decades »,
Oil and Gas Journal, Houston (Texas), 5 avril 2004.
(8) Doe/EIA,
International Energy Outlook 2004, op. cit., p. 37.
(9) Matthew R. Simmons,
Twilight in the Desert, John Wiley, Hoboken (New Jersey), 2005.
(10) Doris Leblond, « Saudi production growth detailed in Paris oil summit »,
Oil and Gas Journal, Houston (Texas), 2 mai 2005.
(11) « Saudis offer oil capacity plan, no immediate relief », Bloomberg News, 15 avril 2005.
(12) DoE/EIA,
International Energy Outlook 2005, Washington, 2005, table E1.
http://www.monde-diplomatique.fr/2006/03/KLARE/13298 - mars 2006